Pourquoi je soutiens Guideon Saar (22 décembre 2019)

(Credit photo: Meir Elipur)

J’ai exprimé jusqu’à présent par écrit mon soutien à Guideon Saar en Hébreu et en Anglais, mais pas en Français. Si je le fais finalement c’est parce qu’on me l’a demandé, et si j’avais hésité à le faire jusqu’à présent c’est parce que le public juif francophone est excessivement émotionnel et souvent agressif et insultant sur les réseaux sociaux lorsque l’on évoque Benjamin Nétanyahou. Et puisque je m’adresse à un public francophone sur Benjamin Nétanyahou, je commencerai en allant tout droit au but : non, ce n’est pas par amertume que je critique Nétanyahou. C’est que cette accusation est récurrente sur les réseaux sociaux. Quand je critique Nétanyahou, on ne répond pas à mes arguments mais on m’accuse d’être amer. En revanche, lorsque je soutiens Nétanyahou (ce que je fais souvent contre ses détracteurs dans les médias anglophones et sur les campus américains) on ne m’accuse pas d’opportunisme. Cet « argument » n’en est pas un précisément parce qu’il n’est utilisé qu’à sens unique.

Mais, surtout, je n’éprouve aucune amertume envers Nétanyahou. Contrairement à la très longue liste de ses anciens collaborateurs qui l’on quitté après avoir été humiliés et maltraités, je n’ai jamais travaillé avec Nétanyahou. Aussi surprenant que cela puisse paraître, je n’ai rencontré Nétanyahou et discuté brièvement avec lui qu’une seule fois dans ma vie et il y a longtemps de cela : ce fut le 16 juillet 2008 alors qu’il était chef de l’opposition et qu’il assista à une conférence à laquelle j’eus l’honneur d’intervenir aux côtés de feu son père Ben-Zion Nétanyahou.

En novembre 2012 je me suis présenté aux élections primaires du Likoud pour la liste du parti à la Knesset, sur le poste réservé aux immigrants. Cette candidature est sans cesse évoquée par les « Bibistes » pour « expliquer » ma critique occasionnelle envers le premier ministre : c’est parce que je n’ai pas été élu que j’en voudrais à Nétanyahou. Cette accusation est fausse et absurde pour trois raisons. La première raison est qu’il ne s’agissait pas d’une nomination mais d’une élection dont le résultat n’avait rien à voir avec le choix de Nétanyahou. La deuxième raison est que Nétanyahou ne soutint officiellement aucun candidat pour le siège réservé aux immigrants. La troisième raison est que ce siège n’entra pas à la Knesset car il fut repoussé trop bas sur la liste suite à l’union entre le Likoud et « Israël Beiteou », le parti d’Avigdor Lieberman. Enfin, je savais très bien en me présentant que je pouvais soit être élu soit ne pas l’être. Je fus certes déçu du résultat, mais pas amer. Je repris immédiatement ma carrière professionnelle que j’aime et qui me passionne. Et, surtout, je pus enfin investir plus de temps dans ce qui m’est le plus cher au monde : ma famille. J’ai depuis décidé, avec ma femme, d’abandonner la politique. Je ne regrette pas d’avoir tenté ma chance et je n’ai aucune amertume ; au contraire, ce fut une expérience dont j’ai beaucoup appris et qui m’a enrichi.

Je critique Nétanyahou lorsque je pense qu’il a tort. Je l’ai critiqué lors de son premier gouvernement (1996-1999) lorsqu’il était sur le point de transférer le plateau du Golan à la Syrie et lorsqu’il transféra la ville d’Hébron à Arafat; je l’ai critiqué en 2005 lorsqu’il a voté pour le retrait unilatéral de la Bande de Gaza ; je l’ai critiqué durant son deuxième gouvernement (2009-2012) lorsqu’il a cédé à toutes les pressions d’Obama en acceptant le principe d’un Etat palestinien, en libérant des terroristes du Hamas avec du sang sur les mains, et en gelant la construction en Judée-Samarie. Je l’ai critiqué sous son troisième et son quatrième gouvernement lorsqu’il a voulu abroger la présidence de l’Etat quelques semaines avant les élections parce que sa femme de voulait pas de Réuven Rivlin ; lorsqu’il a cédé à la pression du Hamas et retiré les magnétomètres à l’entrée du Mont du Temple ; et lorsqu’il a renié son accord avec le judaïsme américain sur les conversions et le Mur des Lamentations. Je suis également critique du fait que, pendant ses treize années à la tête du gouvernement, Nétanyahou n’a rien fait pour réformer le système judiciaire ; de même que je suis critique du fait que, sous ses deux derniers gouvernements, il a confié le portefeuille des finances à des populistes qui nous ont laissé un déficit budgétaire énorme sans démanteler les monopoles responsables de la vie chère.

Je défends Nétanyahou lorsque je pense qu’il a raison. J’ai défendu sa politique économique courageuse lorsqu’il était ministre des finances entre 2003 et 2005. Je le respecte et le salue pour ses acquis exceptionnels en politique étrangère. Il me remplit de fierté chaque année lorsqu’il s’adresse à l’Assemblée générale des Nations Unies. Il a été l’un des meilleurs premiers ministres de l’histoire d’Israël.

Je pense que son bilan est positif, même si mon jugement est critique et nuancé. Je sais qu’à l’ère des réseaux sociaux la nuance n’est pas de mise : tout est noir ou blanc, et on est soit pour ou contre Bibi. Peu m’importe.

Mais après treize ans à la tête du gouvernement et plus de deux décennies à la tête du Likoud, je pense qu’il est temps pour Nétanyahou de céder sa place. Outre le fait que Nétanyahou a maintenant 70 ans, il n’est pas sain dans une démocratie de rester trop longtemps au pouvoir. Je précise que si je pense que Nétanyahou doit partir, ce n’est pas à cause de ses affaires judiciaires puisque la loi israélienne permet à un premier ministre inculpé de rester en fonctions jusqu’à sa condamnation en appel. Même si l’acte d’accusation contre Nétanyahou dans le « dossier 4000 » (Bezeq-Walla) est grave, il bénéficie de la présomption d’innocence.

Je rejette la théorie complotiste du coup d’Etat contre Nétanyahou. Le parquet n’avait aucune raison d’écarter Nétanyahou puisque ce dernier a protégé le système judiciaire et a bloqué toutes les tentatives de le réformer pendant ses treize années à la tête du gouvernement. Et ce même système judiciaire a envoyé un premier ministre de gauche, Ehud Olmert, en prison. Je n’accepte pas non plus l’argument que remplacer Nétanyahou serait déloyal et constituerait une victoire pour le système judiciaire.

Nétanyahou n’a pas été écarté par le système judiciaire mais par Avigdor Lieberman. C’est Lieberman qui a empêché Nétanyahou à former une coalition de droite (qui eût été identique à la précédente coalition dont Lieberman faisait partie) après les deux dernières élections. Si Lieberman n’avait pas bloqué Nétanyahou, ce dernier serait à l’heure actuelle premier ministre soit grâce à son immunité parlementaire soit grâce à la loi qui permet à un premier ministre inculpé de rester en fonctions.

Tenter de remplacer Nétanyahou n’est pas déloyal et ne constitue certainement pas une « trahison » pour reprendre le terme utilisé par certains. Le Likoud est un parti démocratique dont les statuts exigent la tenue d’élections à la tête du parti avant toute élection législative. C’est la tentative d’empêcher une élection qui constitue une trahison du droit et de la démocratie. Nétanyahou a échoué à deux reprises à former un gouvernement et il y échouera de nouveau s’il reste à la tête du Likoud. C’est aux 120.000 membres du Likoud de décider s’ils veulent maintenir Nétanyahou à la tête du parti dans ces circonstances. D’aucuns affirment que le moment est inopportun parce qu’il faut se montrer solidaires alors que le premier ministre est poursuivi par la justice et alors qu’Israël fait face à des défis sécuritaires. Or c’est Nétanyahou lui-même (par l’intermédiaire du porte-parole du Likoud) qui avait proposé il y a deux mois la tenue d’élections à la tête du Likoud. Pourquoi l’idée est-elle légitime lorsqu’elle est proposée par Nétanyahou et illégitime lorsqu’elle l’est par Guideon Saar ?

Par ailleurs, Nétanyahou lui-même s’était présenté contre Ariel Sharon à la tête du Likoud en 2002 alors que Sharon était poursuivi par la justice et qu’Israël était en guerre (c’était la « deuxième intifada »). Ce n’était ni un moment inopportun, ni un couteau dans le dos, ni une trahison. C’était la démocratie. Nétanyahou ne peut pas aujourd’hui accuser Saar de ce qu’il fit lui-même, légitimement, face à Sharon.

Nétanyahou a échoué à deux reprises à former un gouvernement et il échouera à une troisième reprise s’il reste à la tête du Likoud car Lieberman l’empêche à former un gouvernement de droite et parce que Bleu et Blanc refuse de siéger avec lui dans une gouvernement d’union nationale. Le bloc de droite sans Lieberman est passé de 60 à 55 députés entre les élections d’avril et de septembre et il descend en-dessous de 55 d’après tous les sondages si Nétanyahou reste à la tête du Likoud. Avec Saar, en revanche, le bloc de droite sans Lieberman repasse la barre des 60. Par ailleurs, contrairement à Nétanyahou, Saar n’est bloqué ni chez Lieberman ni chez Bleu et Blanc et donc il peut former à la fois un gouvernement de droite et un gouvernement d’union nationale.

C’est pourquoi la gauche préfère que Nétanyahou reste à la tête du Likoud car elle sait c’est son seul et dernier espoir pour gagner l’élection du 2 mars. Seule l’élection de Guideon Saar peut maintenir le Likoud au pouvoir.

Ce n’est pas la seule raison pour laquelle je soutiens Guideon Saar. Tandis que Nétanyahou a voté pour le retrait unilatéral de Gaza en 2005, Guideon Saar a voté contre. Tandis que Nétanyahou s’est prononcé pour le principe d’un Etat palestinien dans son discours de Bar-Ilan en 2009, Guideon Saar a condamné ce discours comme contraire à la politique du Likoud. Tandis que Nétanyahou n’a rien fait pour réformer le système judiciaire, Guideon Saar a fait passer une loi pour réformer et équilibrer le système de la nomination des juges à la Cour suprême. Tandis que Nétanyahou a glissé dans un populisme victimaire qui délégitimise les institutions de l’Etat de droit, Guideon Saar reste fidèle à la dignité et à l’intégrité qu’incarnaient Ze’ev Jabotinsky et Ménahem Bégin.

C’est pourquoi je voterai pour Guideon Saar le 26 décembre.

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