“Netanyahou met sa survie politique avant l’intérêt national” (Actualité juive, 14 janvier 2021)

Israël s’apprête à aller aux urnes pour la quatrième fois en moins de deux ans. Les Juifs de France qui s’inquiètent à juste titre de cette instabilité auraient tort de l’attribuer au système politique israélien. C’est un fait qu’Israël n’a jamais connu une telle instabilité politique depuis son indépendance. Les causes de ces élections à répétition ne sont pas structurelles mais conjoncturelles : Benjamin Netanyahou n’a pas de majorité, il refuse de s’écarter, et il tient le pays en otage pour se maintenir au pouvoir coûte-que-coûte.

Pour comprendre cette perte de majorité, il faut remonter aux élections de février 2009. Netanyahou revient alors au pouvoir après une traversée du désert qui aura duré dix ans (il fut premier ministre entre 1996 et 1999). Le Likoud arrive en deuxième place derrière Kadima (27 et 28 sièges respectivement) mais parvient à former un gouvernement grâce au Parti travailliste alors dirigé par Ehud Barak, ainsi qu’aux partis orthodoxes qui refusent de soutenir Tzipi Livni (la chef du parti Kadima). La coalition est hétéroclite et contre-nature, mais Barak préfère être ministre de la défense de « Bibi » que de « Tzipora » (le surnom machiste qu’il donne à Livni). Le parti travailliste finit par se rebeller et Barak fait sécession en 2011 avec cinq députés. 2011 est également l’année de la grogne sociale, que Netanyahou neutralise en échangeant Gilead Shalit pour un millier de terroristes avec du sang sur les mains. En 2012 Livni perd la direction de Kadima au profit de son rival Shaul Mofaz, qui créé la surprise en se joignant au gouvernement de Netanyahou.

Aux élections de janvier 2013 Kadima s’effondre (de 28 à 2 sièges), mais le Likoud a également pris un coup puisqu’il passe de 27 à 20 sièges. Netanyahou a formé une alliance avec Lieberman pour être la plus grande liste après les élections (elle le sera avec les 11 sièges de Lieberman), mais ce choix s’avère être une erreur stratégique pour deux raisons : 1) Il fait perdre de nombreux électeurs au Likoud ; 2) Il fait de Libermann l’ennemi juré de Netanyahou car ce dernier n’honore pas son engagement d’intégrer Libermann au Likoud (les deux partis se sépareront en 2014). Netanyahou est contraint par Yaïr Lapid, le grand gagnant de cette élection (19 sièges), d’exclure les partis orthodoxes de la coalition. Netanyahou forme donc un gouvernement avec ses rivaux que sont Lapid, Bennett, Livni, et Liebermann. Au bout de deux ans-et-demi, Netanyahou met fin à cette coalition en provoquant des élections anticipées.

Il gagne son pari puisque, aux élections de mars 2015, le Likoud monte à 30 sièges et parvient à réintégrer ses alliés orthodoxes dans la coalition. Mais il s’agit en réalité d’une victoire en trompe-l’œil car la nouvelle coalition de Netanyahou repose sur une majorité-rasoir de 61 députés (sur 120). Sa coalition est donc menacée en cas de défection et elle est sujette aux chantages des députés puisque chaque voix est nécessaire dans une majorité aussi serrée. Netanyahou tente d’affermir son pouvoir par le biais de manipulations de plus en plus troublantes. En juillet 2014, il avait tout fait pour empêcher l’élection de Reuven Rivlin à la présidence de l’État car celui-ci figure sur la liste des cibles de Madame Netanyahou. Quelques semaines avant l’élection, « Balfour » (le surnom de la résidence du premier ministre) tente même de soumettre un projet de loi pour dissoudre l’institution de la présidence de l’État. C’est à la suite de cet épisode que Gideon Saar, alors ministre de l’Intérieur et étoile montante du Likoud, démissionne du gouvernement et de la Knesset. À la surprise de tous, il annonce son retrait temporaire de la vie politique.

La décision de Saar a des raisons plus profondes que le comportement erratique de « Balfour ». Il s’avère en effet que Netanyahou a entraîné le pays à des élections anticipées en 2015 pour préserver « son » journal Israel Hayom (un tabloïde propagandiste généreusement financé par le milliardaire américain Sheldon Adelson). En novembre 2014, en effet, la Knesset approuve en première lecture un projet de loi qui eût obligé Israel Hayom d’être payant (le journal est distribué gratuitement, ce qui asphyxie économiquement Yediot Aharonot, le tabloïde rival et anti-Netanyahou). Les partenaires-rivaux de Netanyahou ont voté pour le projet de loi : Yaïr Lapid, Tzipi Livni, et Avigdor Liebermann. En provoquant des élections anticipées, Netanyahou empêche que le projet de loi ne fût approuvé en seconde et troisième lectures. Netanyahou a inauguré un modus operandi qui se répétera en 2019 : entraîner tout un pays à des élections inutiles pour servir son intérêt personnel. L’État c’est moi, premier acte.

Après les élections de 2015, Netanyahou s’arroge le portefeuille de la Communication. Il limoge immédiatement le directeur général du ministère et nomme à sa place un fidèle de longue date. Par ailleurs, Netanyahou inclut dans les accords de coalition un article qui oblige les membres du gouvernement d’approuver toute décision du ministre de la Communication. La signification de ces signes suspects sera révélée quatre ans plus tard avec la mise en examen de Netanyahou dans le « dossier 4000 » : selon l’acte d’accusation, Netanyahou aurait forcé la vente de parts de la société « Yes » à la société « Bezeq » pour un somme de 170 millions d’Euros, contrairement à l’avis des experts du ministère de la Communication et de son directeur-général limogé par Netanyahou, et ce afin de de fournir à « Yes » les liquidités dont elle avait urgemment besoin. Or le propriétaire de « Yes » est l’homme d’affaires Shaul Alovitch, dont l’influent site d’information « Walla » est très critique de Netanyahou et de sa famille. Comme par miracle, ce même site devient très « pro-Bibi » dans les mois qui précèdent l’approbation de la vente des parts de « Yes » à « Bezeq ».

Netanyahou n’est pourtant pas rassasié, et son obsession avec les médias continue – au point qu’il pousse presque le pays à de nouvelles élections en mars 2017. Il veut maintenant bloquer la refonte de la chaîne de télévision publique pourtant décidée sous son gouvernement précédent. Il soupçonne en effet que cette nouvelle chaîne ne lui sera pas favorable. Et il s’avère en plus que la présentatrice du 20 heures sera la journaliste-star Geoula Even qui n’est autre que l’épouse de Gideon Saar, honni par « Balfour ». Le ministre des Finances Moshe Kahlon, dont le parti de dix sièges est vital à la coalition, dit non. Netanyahou menace de nouvelles élections, mais Kahlon tient bon et Netanyahou ne met pas sa menace à exécution.

Parallèlement, Netanyahou a réussi à élargir sa coalition. Il a longuement négocié avec le parti travailliste pour son entrée au gouvernement, mais l’aile droite du Likoud s’oppose à une telle reconfiguration de la coalition qui entraînerait un gel de la construction dans les implantations. Le leadership des implantations et le ministre Likoud Zeev Elkin font tout pour faire échouer les pourparlers avec le parti travailliste et pour convaincre Liebermann de se joindre à la coalition. Pas facile de convaincre Liebermann, qui ne tarit pas d’insultes sur Netanyahou (« menteur, arnaqueur, voyou » sont les superlatifs cités par la presse). Mais lorsqu’il s’avère que Netanyahou est prêt à céder son royaume pour un cheval (le ministère de la Défense pour cinq députés), Lieberman accepte. Lieberman finira par démissionner en novembre 2018, prétextant ce qu’il appelle la capitulation de Netanyahou face au Hamas. Netanyahou aurait pu tenir avec 61 députés, comme il l’avait fait entre mai 2015 et mai 2016, mais il décide d’avancer les élections.

Après les élections d’avril 2019, le bloc de Netanyahou (Likoud et alliés) se réduit à 60 députés et n’a donc pas de majorité. Liebermann ne veut plus entendre parler de Netanyahou, et ce dernier n’a donc pas de gouvernement. Plutôt que de laisser un autre député tenter sa chance (comme le prévoit la loi), Netanyahou exige de son parti de voter pour une dissolution immédiate. Aux élections de septembre 2019, le parti Bleu et Blanc arrive en tête du Likoud avec 33 députés contre 32. Le « bloc Bibi » compte 55 députés et le « bloc anti-Bibi » en compte 65. Étant donné que Benny Gantz exclue la formation d’un gouvernement avec la liste arabe unifiée, la situation est bloquée. La seule solution est un gouvernement d’union entre Bleu et Blanc et le Likoud. Mais Netanyahou préfère retenter sa chance avec une troisième élection en espérant qu’il obtiendra une majorité de 61 députés pour légiférer une immunité en sa faveur et mettre fin à son procès pour corruption. C’est Zeev Elkin, l’ancien confident du premier ministre, qui nous révèle cette âpre vérité en décembre 2020 : « Monsieur le premier ministre » déclare-t-il devant les caméras, « vous avez entraîné le pays à quatre élections en deux ans par calcul personnel (…) vous avez rejeté un gouvernement d’union après la deuxième élection en espérant à tort qu’une troisième élection vous apporterait la majorité requise pour faire passer des lois personnelles afin de vous protéger de votre procès pour corruption ».

Les accusation d’Elkin vont plus loin : « Vous avez détruit le Likoud, l’avez transformé en une cour byzantine et en culte de la personnalité qui fait taire toute critique » et qui promeut les courtisans serviles et incompétents. Après les élections de mars 2019 (les troisièmes) le « bloc Bibi » n’a que 58 députés et Netanyahou finit à la dernière minute par accepter un accord avec Benny Gantz. Mais Netanyahou laisse dans l’accord un piège que les avocats de Gantz n’ont pas repéré : sans approbation du budget, la Knesset s’auto-dissout et l’accord de coalition devient désuet. C’est pourquoi Netanyahou bloque le passage du budget pendant six mois en pleine crise économique, et c’est pourquoi nous nous dirigeons vers une quatrième élection.

Cette élection, Netanyahou ne pourra pas la gagner à l’instar des trois précédentes. Mais il atteint son but en restant premier ministre intérimaire. Il met donc sa survie politique avant l’intérêt national.

Seul Gideon Saar a eu le courage de se mesurer à Netanyahou pour mettre fin à cette folie. Netanyahou a fait beaucoup de bonnes choses pour Israël, en particulier en politique étrangère. Mais après quinze ans au pouvoir et après deux années de prise en otage d’Israël pour se protéger de son procès, il ne mérite plus de diriger le pays auquel il a beaucoup apporté mais auquel il porte à présent atteinte.

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